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Depuis l’essor des métiers administratifs à la fin du XIXe siècle, l’organisation de l’espace et du temps de travail a fait l’objet de moult questionnements. Si l’accent a longtemps été mis sur la performance de l’employé, nous verrons dans cet article, à travers l’évolution de l’espace de travail principalement, que la question de son bien-être a heureusement émergé dès les années 60 pour devenir un thème central au début des années 2000. Si le monde du travail est en profonde mutation depuis, la crise sanitaire a encore bouleversé ses codes. Le système « hybride », vers lequel on semble s’acheminer, n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations.
Du « scriptoria » à l’open-space
L’origine du bureau, « scriptioria », remonte au Moyen-âge et correspond à la naissance du salariat. Il est alors utilisé par les moines, chargés de conserver et retranscrire les savoirs de l’Antiquité. Les espaces de travail se multiplient ensuite à la Renaissance, avec l’essor du commerce et l’émergence de l’entreprenariat. C’est là que sont signés les contrats des marchands et que se fait le suivi de la comptabilité. Avec le déclin des métiers manuels au profit des tâches administratives à la fin du XIXe siècle, le bureau occupe une place centrale de l’activité économique. Il est alors organisé dans l’esprit du taylorisme qui privilégie la rentabilité pure et l’optimisation du temps de travail. Le bien-être du travailleur est alors bien loin d’être une priorité. L’heure est à l’austérité. Les employés sont regroupés dans une grande pièce commune qu’on peut considérer comme l’ancêtre de l’open-space (espace ouvert). Ils sont disposés en rang et doivent être dans le viseur de leur « manager ». Les fenêtres sont de préférence placées en hauteur pour éviter toute distraction. Dans les années 60, la cloison modulable en contreplaqué apparait, l’idée étant de regrouper les salariés par compétences pour encourager l’échange d’idées. Ils ne doivent plus être simplement performants mais aussi créatifs ! Avec l’arrivée de l’informatique, le bureau manque d’espace. Les plateaux de travail font leur grand retour. Les années ’80 sont l’âge d’or de l’open-space, et on s’aperçoit paradoxalement que les salariés, plombés par le vacarme ambient, font tout pour s’isoler dans ces grands lieux ouverts !
Devenir acteur de sa vie professionnelle
A partir des années 2000 et suite aux nombreux burn-out recensés, on se concentre beaucoup plus sur le bien-être des employés : les espaces sont modulés en fonction des besoins spécifiques de chaque entité, on veille au respect de leur intimité et on multiplie les études pour connaître leurs souhaits. Les travailleurs revendiquent davantage d’autonomie, mettent l’accent sur la quête de sens et sur l’importance d’allier vie personnelle et professionnelle. Pour le sociologue Michel Lallement, « ce qui se joue (chez le salarié) aujourd'hui, c'est sa capacité à exister dans l'entreprise en tant qu'individu, à créer une identité plus individualisée. S'investir en créant un mix entre une volonté d'affirmer sa subjectivité et la nécessité de composer avec des collectifs de travail. En somme, chacun veut être acteur de sa propre vie professionnelle. » On est dans une organisation plus horizontale, moins hiérarchique et une logique plus collaborative. Le patron n’est plus perché en haut de sa tour dans un bureau capitonné, mais évolue souvent au milieu de ses collaborateurs. A partir des années 2010, certaines très grosses entreprises ont essayé de copier le modèle des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) : un lieu de travail relaxant et ludique avec tables de ping-pong, nourriture à volonté, bibliothèques, etc… cherchant ainsi à faire un « lieu de vie au travail ». Le but de ces espaces est aussi de susciter les rencontres « forfuites », propices au partage d’idées et à la créativité.
Dans cette logique plus individualiste, les « tiers-lieux », comme les espaces de co-working, se sont logiquement multipliés ces dernières années. Il s’agit d’un espace ouvert convivial et décontracté. Contre un abonnement à l’heure, à la journée, au mois… on profite d’un ordinateur connecté à Internet, de salles de réunion, d’espaces de détente et de grignotage. L’avantage principal ici, c’est le réseau. Il est notamment très intéressant pour des populations plus « isolées », comme les créateurs de start-up, les artisans, voire les étudiants et les demandeurs d’emploi.
Le monde du travail à l’ère post-covid
La crise sanitaire a, comme chacun sait, entrainé, pour les métiers qui s’y prêtent, un boom du télétravail. En juin 2021, 30 % des français le pratiquaient 3,6 jours par semaine en moyenne. Celui-ci serait en France plébiscité à hauteur de 80%. Parmi ses avantages, on peut citer : l’allègement du temps de transport et le calme qui ont un impact positif sur le niveau de fatigue ; l´augmentation de la productivité ; un meilleur équilibre de vie. Nombre de travailleurs soulignent cependant le manque de lien social qui peut fragiliser psychologiquement. D’autres points négatifs : la faiblesse des interactions professionnelles, frein à l’innovation et à la créativité ; les distractions engendrées par les tâches domestiques ou les enfants et le manque d’espace dans certains appartements des grandes villes. Les pourfendeurs du télétravail insistent souvent sur le fait que celui-ci met à mal l’esprit d’entreprise et qu’il porte atteinte au sens du collectif.
De nombreuses entreprises devraient proposer un calendrier principalement hybride après la pandémie, c’est-à-dire quelques jours en distanciel et le reste au bureau. Cela impliquera de nombreux réaménagements : on prévoit que 50 % du travail se fera à un poste classique et 50% sur des surfaces collaboratives, type salle de réunion. Les entreprises devront aussi réorienter leurs investissements : miser sur les nouvelles technologies pour optimiser le travail en distanciel et réduire la superficie de leurs locaux ; privilégier, par exemple, le « bureau dynamique » dans lequel personne n’a de place attitrée. Des questions liées au droit du travail se posent, comme le contrôle du temps de travail ou la prise en charge du coût du fonctionnement d’un bureau à distance (internet, imprimante, chauffage…). Enfin, d’autres inconnues demeurent : le lien avec la hiérarchie notamment : comment négocier en distanciel ? et la crainte de se faire licencier plus facilement…
Quel type de bureau avez-vous occupé ou occupez-vous actuellement ? Que pensez-vous de ces évolutions et du télétravail en particulier ? Vos témoignages nous intéressent !
Photo © Adobe – Auteur : agcreativelab
charlotte4575, 10/21/2021